Réseaux : après l’utopie

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Médium

N°29, 2011
Coordonné par Louise Merzeau et François-Bernard Huyghe

L’utopie originelle de l’Internet a récemment connu un coup de jeune : tout communique, rien ne s’impose, la démocratie est à un clic d’ici. Mais, à l’enthousiasme des “révolutions 2.0”, clamé par tous les médias au lendemain des révoltes arabes, succède le doute : les réseaux peuvent-ils durablement changer le monde ? Certes pas si on les réduit à un dispositif de communication entre des individus qui ne partagent que des technologies. Rappelons qu’en amont des conversations et des indignations échangées sur Facebook, il y a des identités culturelles, marquées par des héritages, des combats et des médias antérieurs, animées de la même impatience politique. D’une révolution médiologique à l’autre, ceci emboîte le pas à cela. Mais, en changeant l’échelle et la scène où convergent les regards, le virtuel donne à ces communautés une nouvelle réalité : changement de génération, traversée des frontières, alliance de l’image et du texte. À partir de liens faibles, épisodiques et futiles, une appartenance peut se projeter, en interaction et en boucle avec la rue. Les collectifs militants récupèrent alors la force des affinités triviales et tribales (musiques, vêtements, mode, rumeurs…).
Face à la prolifération des prises de parole et de parti, l’autorité monolithique, cathodique et autiste ne peut résister. Perdant la première bataille de l’attention, son aura ne protège plus guère les pouvoirs déconnectés. D’autant que l’absence de chef du côté de la contestation n’empêche pas les soutiens logistiques exercés en sous-main. Mais l’État n’a pas dit son dernier mot, et la Toile n’est pas à l’abri des décrets qui cherchent à discipliner le flux. En coupant radicalement le réseau lorsque c’est possible, en contrôlant ses points d’accès lorsqu’il est trop ramifié, en l’infiltrant lorsqu’il est déjà la clé du pouvoir. Dans chaque pays, infrastructures et stratégies produisent des formes différentes de contrôle et de contre-pouvoirs. Ne cédons pas à l’image d’Épinal opposant foules intelligentes et branchées d’un côté, Big Brother de l’autre.
Ce qui nous ramène à la question de départ : en quoi les réseaux sont-ils politiques ? À la fois médium anti-médiation (plus d’intermédiaire) et culte du médium (“merci Facebook”), c’est d’abord par le secret de l’algorithme qu’ils agissent sur l’ordre du monde. Réorganisant la hiérarchie des contenus, la vitesse des fils d’actualité et l’orientation des audiences, la gestion des flux produit moins de l’opinion que de nouveaux codes de circulation, d’accréditation et d’intervention. L’apparition d’un nouveau régime d’autorité affecte aussi bien les partis que les entreprises et les Églises. La machine calcule et redistribue le jeu des influences. L’invisible réorganise le visible.
Les médiologues ne pouvaient manquer cette occasion d’observer l’efficacité politique du médium, tout en réfutant le déterminisme technologique. À charge aux prochaines élections, en Occident comme ailleurs, de vérifier ce retour à la raison des réseaux.

Louise Merzeau et François-Bernard Huyghe

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