Partager ses secrets en public

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Médium

Non, les réseaux sociaux en ligne ne tuent pas l’intimité. Le secret s’inscrit désormais dans le partage même, au sein de l’espace public numérique. Il donne lieu à des stratégies subtiles, pour rester entre soi, en rusant avec les algorithmes indiscrets des nouvelles industries de l’identité.

Extrait :

La deuxième idée fausse à réviser concerne les jugements moraux portés à l’encontre de l’exhibitionnisme supposé des internautes. Cette appréciation oublie tout simplement que l’écosystème du Web et les pratiques en ligne ont considérablement évolué depuis les années 1990. Rapporter la mise en visibilité des sujets connectés à des pulsions individuelles revient à plaquer sur l’environnement numérique le modèle inapproprié de la téléréalité, lui-même régi par l’idéologie de la société du spectacle. Sans doute encore transposable au moment où les premières webcams livrèrent ici et là quelques existences au fantasme d’une exposition intégrale, ce modèle a perdu toute pertinence dans le Web social. D’une part parce que les comportements décriés ne sont plus le fait de quelques pionniers imprudents, mais de toute une génération. D’autre part parce que l’exposition de soi résulte moins d’un choix que d’une soumission à l’ordre d’une nouvelle médiasphère. À la fois pression du groupe – en ligne et hors ligne – (OM) et affordance des dispositifs techniques – qui contraignent de plus en plus fortement les pratiques – (MO[1]), la propension à se laisser observer résulte bien d’une astreinte sociale. Elle n’est ni un effet mécanique des technologies, ni une perversion comportementale synonyme d’inculture ou d’immaturité. Enfin et surtout, la communication d’une grande quantité d’informations personnelles jadis tenues secrètes ne relève pas d’une forme spectaculaire, mais d’une indexabilité de soi. Dans l’univers des réseaux, les regards ne convergent plus vers une scène centrale et l’idée même d’une coupure scénique n’a plus guère de sens. Avant de se projeter dans un rôle, l’usager numérique est d’abord une grappe de données livrées au calcul des machines.


[1]  OM : organisation matérialise : MO : matière organisée. Les deux faces de tout médium.

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Pour citer cet article

Louise Merzeau “Partager ses secrets en public”, Médium, Secrets à l’ère numérique, N° 37-38, 2013/4,  p. 153-172.

L’intelligence des traces

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Intellectica

Comprendre la traçabilité numérique, c’est d’abord mesurer l’impact des procédures de personnalisation, qui modifient les protocoles de publication et inversent la priorité entre les types et les singularités. Dans cet environnement, l’utilisateur aménage ses espaces plus qu’il ne produit des contenus inédits. Automatiquement générées par la moindre de ses activités, les traces qu’il dépose sont pour la plupart non intentionnelles. Traitées comme symptômes, elles le dépossèdent du sens de ses agissements. Traitées comme données quantitatives, elles se détachent et le désagrègent dans le jeu des calculs algorithmiques. Ainsi indexé, l’individu-data se retrouve dans un monde sans oubli, où tout est documenté. La réappropriation va consister à transformer cette logique du stockage en écriture mémorielle. Cela suppose que soit d’abord restauré un droit de désactiver les traces afin de les soustraire aux effets de la décontextualisation. Doivent ensuite se développer des pratiques d’adoption, par lesquelles les utilisateurs transforment les traces déposées en traces récoltées. Afin de ne pas se laisser enfermé dans sa propre traçabilité, l’individu doit enfin recourir à la médiation de collectifs mémoriels pour donner aux traces une dimension documentaire ou patrimoniale. Développer cette compétence numérique revient à anticiper sa traçabilité au lieu de la subir : faire trace, pour substituer à l’identité le plein exercice d’une présence.

Microsoft Word - Identity-commons.doc
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Séance du webinaire Pédauque consacrée à une discussion de l’article « L’Intelligence des traces »
Séminaire de l’ARCo « Des traces à l’ère du Web consacrée au n°59 de la revue Intellectica
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Pour citer cet article

Louise Merzeau “L’intelligence des traces”, Intellectica, 2013/1, n° 59.

Twitter, machine à faire et défaire l’autorité

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Médium

Avec le microblogging, qui brise les murs dressés entre l’intime et le public, les figures de l’autorité ne sont plus la clôture et le surplomb. Dans le nouvel espace public, l’autorité ne requiert plus ni œuvre ni auteur.

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Pour citer cet article

Louise Merzeau “Twitter, machine à faire et défaire l’autorité”, Médium, N° 34, 2013/1,  p. 171-185.

Copier-coller

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Médium


À l’ère numérique, la copie ne change pas seulement d’échelle, mais aussi de portée stratégique et culturelle. La pratique du copier-coller doit en ce sens être réexaminée pour que soient d’abord distingués le plagiat – favorisé par la disponibilité des ressources et l’efficacité des moteurs de recherche – et les techniques de collecte et de montage – vecteurs d’une dynamique d’appropriation des biens culturels. La dimension technique de la copie doit ensuite être replacée au centre de la performativité numérique. Des diverses formes de copie transitoire, indispensables à la circulation des informations, à la duplication algorithmique des données, qui fait aujourd’hui la loi sur les réseaux, c’est toute l’économie de la publication qu’il faut repenser. Dans ce contexte, plutôt qu’un durcissement du copyright, c’est d’une défense d’un Internet public que nous avons besoin, afin d’endiguer la logique de silos que les grands acteurs du Web appliquent à la gestion du cloud.

Copie : modes d’emploi, Médium N°32-33, 2012
Coordonné par Louise Merzeau et Régis Debray

Publication faisant suite au séminaire organisé à la Fondation des Treilles en avril 2012

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Pour citer l’article

Louise Merzeau, “Copier-coller”, Médium, 32-33 (2012) p. 312-333.