Prendre une photo comme on dépose une offrande

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Aux lendemains des attentats de Paris, devant le Bataclan, la Belle Équipe, le Petit Cambodge ou le Carillon, messages, fleurs, offrandes, images et bougies s’accumulent sur les trottoirs. Nombreux sont ceux qui viennent se recueillir, déposer un objet, verser quelques larmes. Nombreux aussi sont ceux qui prennent des photographies.

Il n’y a pas si longtemps, on aurait jugé inconvenant ou obscène de photographier les lieux du recueillement, dans le moment même où celui-ci s’exprime.
Comme si l’appareil avait quelque chose de grossier que les bouquets et les larmes n’ont pas. Comme si regarder par un viseur, c’était ne plus ressentir et devenir voyeur de la douleur des autres. Comme si l’image enfin ne pouvait qu’être volée au chagrin.

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Mais aujourd’hui, en cette triste journée de novembre où les Parisiens sortent lentement de l’hébétude et de la sidération, ils prennent des photos comme on dépose une offrande. D’un même geste, silencieusement, méticuleusement, respectueusement.

L’image qu’ils emporteront est l’exact miroir de celles qu’ils accrochent aux rideaux de fer ou qu’ils confient au pavé. Elle témoignera, non pas de ce qui a eu lieu, mais d’eux-mêmes comme témoins.

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Car la prise de vue aujourd’hui peut être compassionnelle, comme elle est d’autres jours conversationnelle, festive ou ludique. Tendre l’appareil vers l’autre, ce n’est pas lui voler son image, mais lui donner mon attention, lui adresser mon regard.

Comble paradoxal de la présence : multiplier les vues pour habiter pleinement l’instant, et penser déjà aux réverbérations du partage. Prendre une photo pour ceux qui ne sont plus là, prendre une photo pour soi (et même, pourquoi pas, de soi), prendre une photo pour tous ceux qui restent et qui vivront avec moi au milieu des images.